LE GRAND TOUR

Juin 2020-juin 2021 : à 17 ans, Elio et Justin font un tour d’Europe à vélo d’une durée d’un an, en déjouant la pandémie qui ferme les frontières. Leur amitié, leurs histoires d’amour, leurs rencontres avec de jeunes européens, leurs familles et leurs potes toujours avec eux sur l’écran de leurs smartphones, les péripéties du voyage : un portrait intime de deux adolescents qui deviennent de jeunes adultes.

Cinq questions à Jean-Pierre Sicard

Comment est né le projet de film?
J’ai rencontré Elio quand il avait quatorze ans, en 2017. Je me suis mis à le filmer pour un documentaire sur sa vie… documentaire sur une adolescence aujourd’hui.
Fin 2018, Elio me parle d’un projet de voyage qu’il a en lui depuis la fin de son enfance. Il rencontre Justin à l’internat du lycée, en seconde. Il l’entraîne à rêver d’une année à deux vélos à travers l’Europe, après le bac. Leurs deux personnalités très différentes ressemblent à un duo de cinéma. Je leur propose de faire un documentaire sur leur voyage. L’idée renforce leur motivation et valorise leur projet. Ils mettent en avant une dimension écologique et citoyenne, qui me plaît et fait écho à un large pan de mon parcours professionnel. Je les laisse faire à leur façon, qui me surprend souvent, dans la forme comme sur le fond.
Au long de leurs deux années de préparatifs où se cumulent « repérages » pour ce documentaire autour de leur voyage, moments où je les filme au quotidien et tournage d’une fiction dont ils sont certains des acteurs, s’est dessiné mon projet de film.
Comment s’est fait le tournage autour de l’Europe?
J’ai rejoint Elio et Justin en Belgique et aux Pays-Bas, dans le nord de la Norvège, entre Varsovie et Cracovie, à Prague, en Roumanie, de Milan à Gènes, pendant une dizaine de jours à chaque fois. En septembre 2020, quand je les ai rejoints en Norvège, deux mois après leur départ, Elio et Justin ont insisté : «JP, ne dis plus ‘’votre voyage’’, dis ‘’notre voyage.’’» Et c’est vrai qu’au-delà de ces périodes où je les retrouvais, j’ai suivi leur trajet au jour le jour. La géolocalisation permanente, les « vocaux » et les messages à tout propos, ou encore le blog du voyage que nous faisions ensemble via les écrans, me donnaient l’impression de vivre leur aventure au quotidien avec eux.
Elio et Justin sont coauteurs du scénario documentaire et j’ai pu utiliser toutes leurs archives vidéo ou audios, même si je suis l’auteur du film et qu’ils ne sont pas intervenus au montage.

Comment s’articulent le point de vue du réalisateur et celui des protagonistes du voyage?

Le film met en scène un double point de vue. Le mien bien sûr, à la recherche de leur portrait. Le leur, qu’expriment leurs Story Insta, les vidéos qu’ils filmaient pour leurs potes ou leur famille et tous les contenus qu’ils mettaient en ligne – le philosophe Bruno Latour, dans l’échange à distance avec eux que j’ai filmé au cours du voyage, leur a dit avec humour : « Vous êtes un réseau qui se déplace à bicyclette ! ».

D’autres vidéos d’Elio et Justin m’étaient adressées personnellement et nous avons échangé beaucoup de messages vocaux. Dans le film, ces messages racontent notre grande complicité et ma relation à distance avec eux. Cette confiance de leur part rend possible le regard que je porte sur eux en tant que cinéaste.

Au-delà de la chronique du voyage, quels sont les thèmes du film?

Si leurs histoires sentimentales, leur solitude à deux et leurs rencontres au cours du voyage forment la trame du film, j’ai aussi été sensible à deux thèmes portés par Elio et Justin à travers ce projet : écologie et relation à l’Europe.

Mais l’essentiel de mon propos n’est pas dans l’analyse sociologique, ni dans la réflexion sur les différentes natures d’images et de récits.

Même si le contexte fait de ces réalités actuelles une composante caractéristique du film, celui-ci se veut d’abord un portrait sensible d’adolescents d’aujourd’hui, qu’on voit changer et mûrir au cours de leur année de voyage.

Comment a été choisi le titre?

Le Grand Tour, qui s’écrit de la même façon en anglais, est à l’origine un long voyage en Europe effectué par les jeunes hommes, plus rarement les jeunes femmes, des plus hautes classes de la société européenne, puis aussi par les jeunes artistes, du milieu du XVIème siècle jusqu’au XIXème siècle, juste après ou pendant leurs études, pour parfaire leur éducation. C’est une expression « classique » pour parler d’une expérience formatrice grâce à un voyage de plusieurs mois en Europe à l’âge où Elio et Justin l’ont vécu, évidemment dans des conditions très différentes. Les historiens précisent aussi que « le Grand Tour avait parfois une dernière fonction éducatrice : l’éducation sexuelle. L’étape à Venise avait longtemps servi ce but, pour traiter des chagrins d’amour et offrir un programme érotique inavoué »… ce qui fait très directement écho à ce que le film raconte.

Les émissions de gaz à effet de serre générées par la production du film « Le Grand Tour » ont fait l’objet d’une démarche de compensation, en cohérence avec les objectifs écologiques du tour d’Europe à vélo d’Elio et Justin.

Bien évidemment, comme pour toute activité générant des gaz à effet de serre, il s’agit prioritairement de limiter ceux-ci au maximum. De fait la production du film a eu de faibles émissions de gaz à effet de serre relativement à sa durée. Mais il reste un impact que nous avons souhaité évaluer et compenser selon une approche reconnue et certifiée.

Cet impact a été mesuré selon les recommandations du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée, via un des sites Internet que ce dernier a validés. Ces émissions représentent environ 9,8 Tonnes équivalent carbone, principalement en raison des impacts des transports, du fait des conditions particulières de tournage, avec des effectifs très limités et des conditions techniques très modestes, mais ayant nécessité plusieurs déplacements en France et dans différents pays européens.

Pour la compensation, arrondie à 10 TeC, le prestataire retenu est le Geres, une ONG de développement internationale qui œuvre à l’amélioration des conditions de vie et lutte contre les changements climatiques et leurs impacts. Le Geres a proposé des ‘’crédits carbone’’ issus du projet CEnAO (Climat Energie en Afrique de l’Ouest) qui a comme objectif de contribuer à la préservation de la ressource en bois-énergie, la réduction de la précarité énergétique des ménages urbains et au développement économique local, en agissant sur un changement d’échelle dans la diffusion des foyers améliorés de cuisson au Mali. Ce projet bénéficie d’une double certification UNFCCC et Gold Standard.